PAUL AUSTER
La nuit de l'Oracle
Je relevais d'une longue maladie. Quand arriva le jour de ma sortie de l'hôpital, c'est à peine si je savais encore comment marcher, à peine si je me rappelais qui j'étais censé être. Faites un effort, m'avait dit le médecin, et dans trois ou quatre mois vous serez à nouveau en pleine forme. Je ne le croyais pas, mais je suivi néanmoins son conseil. On m'avait donné pour mort et maintenant que, mystérieusement et en dépit des prédictions, j'avais échappé à la camarde, quelle autre possibilité s'offrait à moi que de vivre comme si un avenir m'attendait?
Je commençais par de petites sorties, pas plus d'un ou deux pâtés de maisons depuis chez moi, et puis je rentrais. Je n'avais que trente quatre ans mais, en pratique, la maladie avait fait de moi un vieillard, un de ces petits vieux tremblotants qui marchent en trainant les pieds et ne peuvent en poser un devant l'autre sans regarder d'abord lequel c (est. Même à l'allure très réduite que j'arrivais à soutenir, la marche provoquait dans ma tête une étrange impression de légèreté aérienne, un fouillis de signaux confondus et de connexions mentales entrecroisées. Le monde rebondissait et nageait sous mes yeux, onduleux comme des reflets dans un miroir déformé, et chaque fois que je m'efforçais de regarder une chose précise, d'isoler un détail du flot des couleurs tournoyantes –un foulard bleu noué sur la tête d'une femme, par exemple, ou le feu arrière rouge d'un camion de livraison-, il commençait aussitôt à se briser…
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…Dix minutes plus tard, revenu dans la rue, je marchais vers l'hôpital pour retrouver Grace. FIN.